Mercredi le 4 août 2004, nous apprenons la mort
mardi d'un des plus grands photographes du
20e siècle!
PARIS (AP) - Un "oeil" se ferme: Henri Cartier-Bresson s'est éteint à l'âge
de 95 ans.
Dans un communiqué, sa famille, la Fondation qui porte son nom et l'agence
Magnum Photos qu'il avait cofondé ont annoncé qu'il était mort mardi à 9 h 30
dans sa maison du Luberon, à
Cereste (Alpes-de-Haute-Provence).
Selon son entourage, il a été inhumé dans le cimetière de Montjustin
(Alpes-de-Haute-Provence). Chez Magnum, on précise que ses obsèques ont eu lieu
mercredi dans la plus grande intimité. Un hommage sera organisé à la mémoire
d'Henri Cartier-Bression début septembre.
Témoin de la vie dans tous ses états, Cartier-Bression avait inventé une
nouvelle vision, le "regard Magnum", du nom de l'agence qu'il avait fondée en
1947. Le "moment décisif", qu'il traquait patiemment avec son
Leica, restera la
marque de son oeuvre, exemplaire pour des générations de photographes.
Né le 22 août 1908 à Chanteloup (Seine-et-Marne), ce fils de grand bourgeois
se destine très jeune à la peinture. Elevé dans le culte du "Quattrocento", il
devient à 19 ans l'élève du cubiste André Lhote et fréquente les surréalistes. A
leur contact, il apprend la rigueur des formes.
"Ce qui compte, c'est la forme", aimait à répéter ce peintre devenu
photographe, qui n'a jamais travaillé qu'au 50mm, l'optique la plus proche du
regard humain.
En 1930, après des études à Cambridge, il effectue un voyage en Afrique
occidentale française. Atteint de paludisme, il regagne la France en 1932.
Désormais résolu à parcourir le monde, il prend conseil auprès de photographes
de "L'Illustration" et acquiert son premier Leica. L'appareil devient dès lors
"le prolongement de (son) oeil".
Son intérêt pour la photographie s'affirme au cours de voyages en Europe,
dont il tirera "Des Européens", vaste balayage de 40 années de travail. Poussé
par la joie de l'instant et l'envie de conserver en images les bouts de vie
qu'il croise, il voyage.
Après l'Espagne en 1933, il participe l'année suivante à une expédition
ethnographique au Mexique, pays cher à "HCB" comme en attestent ses "Carnets
mexicains 1934-1964". Déjà, ses pérégrinations sont ponctuées d'expositions de
ses "visions", comme arrachées d'un coup sec à la réalité.
En 1935, il se rend aux Etats-Unis, où Paul Strand l'initie aux techniques du
cinéma. De retour en France, il reste attiré par le septième art et travaille,
de 1936 à 1939, comme assistant de Jean Renoir, ce qui lui vaudra de participer
au tournage d'"Une partie de campagne" et de "La Règle du jeu". En 1937, il
passera lui-même à la réalisation avec un documentaire sur les organisations
sanitaires pendant la guerre d'Espagne.
Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, il est mobilisé dans la section
photographique de l'armée française. Fait prisonnier en 1940, il réussit à
s'évader à la troisième tentative. De 1944 à 1945, il s'associe à un groupe de
photographes pour couvrir l'Occupation et la Libération de Paris.
Après la grande exposition "posthume" que lui consacre en 1946 le Musée d'art
moderne de New York (MoMA), qui le croit mort en captivité, il fonde avec Robert
Capa, David Seymour et George Rodger l'agence coopérative "Magnum Photos",
aujourd'hui référence absolue en matière de reportage.
En 1948, il part pour trois ans en Orient. Il visitera l'Inde, la Birmanie,
le Pakistan, la Chine et l'Indonésie. Tel un animal lâché parmi les hommes, il
capte "au hasard de l'objectif" la vie de ses contemporains du bout du monde.
Contrairement à celles de ses confrères photo-journalistes, ses images sont
dépourvues de toute intention de démontrer ou de dénoncer.
Considéré comme le plus grand reporter de son époque, il devient en 1954 le
premier photographe européen à se rendre en URSS après la mort de Staline.
L'année suivante, le Musée des arts décoratifs de Paris lui rend hommage en
présentant 400 photographies glanées en 22 ans de voyages. C'est la première
exposition parisienne pour "HCB", déjà honoré par des villes comme New York et
Madrid.
En 1958, il revient en Chine pour le dixième anniversaire de la République
populaire. Il est ensuite à Cuba, au Mexique et au Canada. Puis ce sera l'Inde
et le Japon, après quoi il rentre à Paris photographier les événements de mai
1968. Entre-temps, il quitte Magnum en conservant les droits de ses archives.
A 64 ans passés, il entame une nouvelle carrière de peintre. Après avoir
marqué le siècle de ses photographies, il semble rechercher la méditation, comme
en témoigne sa conversion au bouddhisme. "Mais, parfois, je travaille encore
trop vite: on n'utilise pas impunément un appareil photographique comme un
paquet de nerfs pendant 40 ans", avouera-t-il à l'aube de ses 90 ans.
En 2000, le photographe avait décidé avec sa femme Martine Franck et leur
fille Mélanie de créer la
Fondation Henri-Cartier-Bresson pour préserver
l'oeuvre de celui qui fut l'un des pères de la photographie moderne mais aussi
présenter les travaux d'autres photographes, dessinateurs, architectes ou
cinéastes.
Reconnue d'utilité publique en 2002 par l'Etat Français, la fondation,
installée dans le XIVe arrondissement de Paris, avait organisé sa première
exposition l'an dernier, une étape coïncidant avec une vaste rétrospective à la
Bibliothèque nationale de France intitulée "De qui s'agit-il?" et présentant
près de 350 oeuvres.
Outre ses reportages parus dans les plus grands magazines, "HCB" avait publié
une vingtaine d'ouvrages.
Malgré sa renommée mondiale, son visage était resté jusqu'au bout celui d'un
parfait anonyme. "C'est très bien d'être célèbre, à condition d'être inconnu",
glissait-il en citant Edgar Degas.
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